Les copines d'Allah

Creato Domenica, 28 Gennaio 2018 08:28
Ultima modifica il Lunedì, 13 Gennaio 2020 11:45
Pubblicato Domenica, 28 Gennaio 2018 08:28
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Une autre catégorie sociale a été récemment impliqué dans cette dynamique: les femmes, aussi appelées “les copines d'Allah.” L’origine ethnique et sociale des femmes kamikazes présente une grande hétérogénéité. Historiquement, les femmes ont, depuis longtemps, été associées à des mouvements politiques violents. De la Révolution française ou russe aux mouvements terroristes des années ‘70 et ‘80, en passant par les mouvements de libération nationale, notamment en Algérie, les périodes de guerre et de répression ont permis aux femmes islamistes d’acquérir le statut valorisant de résistante (moujahida) voire de martyre (shahida). L’évolution de la femme d’un rôle essentiellement d’auxiliaire à un rôle plus actif et opérationnel comme celui de kamikaze est toutefois assez récente. En manifestant leur engagement politique par la mort sacrificielle et le don de soi, ces shahidas empruntent une voie qui, jusqu’à présent, n’était suivie que par des hommes jeunes, que l’on dit tout simplement fanatisés. Palestiniennes, Tchétchènes, Libanaises ou Irakiennes, étudiantes ou mères de famille, adolescentes ou grand-mères, il est bien difficile d’établir un profil social type de la kamikaze. Certaines de ces femmes avaient même devant elles un avenir prometteur de juriste ou d’universitaire. Elles jouissaient, pour la plupart, d’un très bon niveau d’éducation et étaient parfois issues de familles aisées. Certaines organisations, comme le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), ont depuis longtemps approuvé et encouragé la participation des femmes à leurs actes violents. D’autres, comme Al-Qaïda, n’avaient nullement prévu le phénomène des femmes missiles et furent les premiers surpris. Précisons toutefois, que le recrutement des femmes n’est parfois que la conséquence de décisions prises par des réseaux locaux en manque de combattants. Entre 1985 et 2007, plus de 230 attentats suicides à la bombe ont été perpétrés par des femmes. Cependant, il semble que ce qui relie ces femmes jihadistes entre elles soit davantage d’ordre idéologique qu’opérationnel. C’est au Liban que le phénomène des femmes kamikazes est apparu pour la première fois dans le monde arabo-musulman: le 9 avril 1985, Sana Khyadali, une jeune femme membre du parti nationaliste syrien, faisait exploser sa voiture piégée près d’un convoi militaire israélien. Ce phénomène est par conséquent nouveau et s’est amplifié après la seconde intifada. Le 27 janvier 2002, Wafa Idriss, une ambulancière de 25 ans, commettait un attentat suicide en plein coeur de Jérusalem ouest, devenant ainsi la première kamikaze palestinienne. Durant les six mois qui ont suivi cet attentat, les femmes ont représenté un cinquième des auteurs d’attaques suicides. Parmi elles: Dareen Abu Ayshah, âgée de 21 ans, qui a activé sa ceinture d’explosifs à un barrage militaire israélien en Cisjordanie, le 27 février 2002; Hanadi Jaradat, une avocate palestinienne de 29 ans, s’est fait sauter dans un restaurant à Haïfa, le 4 octobre 2003, tuant 21 personnes. En janvier 2004, Reem Salah al Rayacha, 22 ans, laissait à la maison sa fille de 18 mois et son fils de 3 ans pour aller se faire exploser au point de passage d’Ertz, entre Israël et la Bande de Gaza. Ces exemples ont ensuite rapidement été suivis par d’autres. Le 30 avril 2005, deux femmes voilées ont attaqué un bus transportant des touristes en Egypte. Le 23 novembre 2006, Fatima Omar Mahmoud al-Najar, une Palestinienne de 57 ans, mère de 9 enfants et grand-mère de 41 petits-enfants, s’est fait exploser dans la bande de Gaza. Précisons que nombre de ces femmes n’ont pas attiré l’attention des forces de sécurité car elles transportaient leurs bombes sous leurs vêtements, laissant croire qu’elles étaient enceintes, ou dans les poussettes des enfants. Le phénomène des femmes kamikazes touche également l’Europe. Le 9 novembre 2005, Muriel Degauque, une Belge de 38 ans convertie à l’islam, commettait un attentat suicide dans le nord de Bagdad, tuant cinq policiers et quatre civils. Depuis 2000, on assiste à une augmentation progressive des attaques kamikazes perpétrées par des musulmanes, que ce soit en Irak, en Egypte, en Ouzbékistan ou dans le Maghreb, qui semble être devenu le théâtre du terrorisme transnational. L’attentat suicide qui a ciblé, le 28 janvier 2008, un commissariat dans la wilaya de Boumerdes, en Algérie, a été commis par une jeune Algérienne de 26 ans. Le passage à l’acte ne repose pas sur un processus ou un facteur unique. Les raisons de leur participation aux actes suicidaires varient considérablement d’un pays à l’autre, selon la culture et le vécu personnel de chaque femme. S’il est, par conséquent, difficile de généraliser les cas, nous pouvons toutefois tenter d’expliquer comment certains facteurs psychologiques et politiques peuvent influencer ces scénarios féminins de mort volontaire. La culture arabo-musulmane offre une image négative de la femme. La première source de toutes les discriminations encore défendues par les islamistes est le refus de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce refus est justifié par un verset coranique qui stipule que “les hommes leur sont supérieurs d’un degré [aux femmes]”. Des énoncés isolés de leur contexte sont devenus des fondements juridiques intangibles qui hypothèquent l’évolution du droit, des institutions, des mœurs et de la société. Ainsi, la tutelle des hommes sur les femmes, encore en vigueur dans tous les pays arabes, est justifiée au nom de ce verset coranique. Ce droit s’accompagne, dans cette conception, de l’obligation d’obéissance de la femme vis-à-vis de son tuteur, ainsi que du droit à la correction qui revient à l’homme à l’encontre de la femme jugée rebelle. Face à cette situation, certaines musulmanes peuvent intérioriser ces stigmates en les renforçant. Leur identité négative leur apparaît comme le résultat de leurs insuffisances personnelles et de l’ordre naturel - donc un fait inévitable - et non comme le résultat des rapports sociaux qui définissent leur place dans la société. De ce fait, elles renchérissent sur leur identité de femme faible et dépendante, et la renforcent. Toutefois, dans certaines circonstances, un retournement sémantique se produit, qui renverse les valeurs et transforme la négativité en positivité. Souffrant d’une image de soi si compromise, certaines peuvent développer une haine de soi et intégrer les mouvements islamistes radicaux, conduisant à des actes extrêmement violents. La haine, fait clinique fondamental, n’est pas sans incidences sociales. Les femmes martyres sont les agents les plus dramatiques de cette situation. En perpétrant des actes terroristes, ces femmes expriment par les armes et la mort leurs ressentiments et leur haine, et s’identifient aux hommes. L’attentat terroriste devient une sacralisation de soi dans la mort lorsque le sentiment que l’on ne peut pas réaliser son idéal dans la vie prévaut. Quand l’horizon du futur est perçu comme bloqué, on se projette vers la mort, qui devient le lieu de réalisation de soi. Dans ce type d’engagement, les conflits locaux sont des facteurs de motivation déterminants et critiques; toutefois, chaque cas demeure unique. L’épuration dont ont été victimes certains mouvements islamistes a contraint ces derniers à placer les femmes sur le devant de la scène. En l’absence des hommes, elles ont joué un rôle indispensable dans la formation des réseaux de solidarité, la prise en charge des militants en fuite ou dans la clandestinité, l’établissement des contacts entre les prisonniers et les militants à l’extérieur, etc. Les contextes de répression ont renforcé le rôle des femmes et entamé un changement des rapports entre genres au sein des courants islamistes. Certaines militantes ont ainsi pu disputer des espaces de reconnaissance dans leur propre courant politique, accéder au sommet de leur formation et devenir mythiques à l’instar de l’Egyptienne Zaynab al-Ghazali, qui s’est imposée lors des arrestations de 1948-1950, ou de la Marocaine Nadia Yassine, leader du parti islamiste marocain al-Adl wal Ihssan (“Justice et Spiritualité”). Quant au parti palestinien Hamas, il a accepté l’inscription de 20% de femmes sur ses listes lors des élections de 2006. Dans certaines sociétés musulmanes féodales et tribales, l’organisation jihadiste est la seule structure qui offre à la femme un choix autre que le rôle traditionnel d’épouse ou de mère, en leur proposant un nouveau style de vie. Et, au prix de leurs sacrifices, les femmes kamikazes trônent à titre posthume sur les posters et les fresques allégoriques consacrés aux glorieux martyrs de la nation. Cette douteuse consécration égalitaire via la mort volontaire inspire des envolées lyriques à des centaines de femmes musulmanes en quête de liberté et d’égalité du genre.

di Francesca De Simone